Après nos parents et à part l’astrologie, le temps de notre naissance imprime évidemment en nous une « atmosphère », comme aurait dit une célèbre comédienne française, qui elle aussi avait choisi un joli pseudonyme.

 

Un artiste américain parlant du moment historique

où il est venu au monde a pu dire que ce temps était inscrit « dans sa structure silencieuse ».

 

Wonderbabette a choisi ce nom, en assumant ensemble son prénom et autre chose de son enfance : un trait d’époque parfaitement adapté à sa personnalité, ainsi qu’à son projet, hérité d’une décennie fabuleuse qu’elle a respirée, sans la connaître encore, un moment de liberté inouïe.

 

Le monde de l’art alors était bouleversé par un genre nouveau : l’action, le happening, la performance, des attitudes qui devenaient des formes,

selon le titre d’une exposition mythique de 1969.

 

Depuis lors, on a confusément le sentiment que l’heure des révolutions artistiques
est passée, que dans la très grande liberté dont jouissent aujourd’hui les artistes dans le monde occidental, tout est possible et tout advient. Nous avons l’impression, renforcée par le développement des nouvelles technologies de l’information, que l’innovation serait devenue la norme, et le conservatisme l’exception ; si bien qu’une situation inédite dans l’histoire des arts visuels ne nous est pas encore apparue clairement, alors qu’elle se dessine depuis une vingtaine d’années de plus en plus nettement. C’est la présence nouvelle, durable et nombreuse, des femmes sur la scène artistique internationale.

 

Après la radicalité féministe des pionnières, l’œuvre de Wonderbabette traduirait plutôt une coloration singulière et libre. Elle prend plusieurs formes, au gré des situations rencontrées par l’artiste et des réponses qu’elle apporte, le plus souvent improvisées d’abord, puis étudiées jusqu’à une finalité impeccable.

 

L’artiste est à la fois l’auteure d’œuvres très élaborées, parfois spectaculaires, et d’actions quotidiennes à l’attention de personnes qui ne savent pas qu’il y a de l’art, possible, pour elles aussi.

 

Dans son travail, l’art nourrit l’action et l’action devient forme, comme dans un incessant dialogue, une respiration là encore, entre le plus intime et l’autre, cet inconnu.

 

Alors que la nostalgie du modernisme fait rage, tandis que des œuvres nombreuses recyclent aujourd’hui les figures héroïques des années rêveuses, souvent avec mélancolie, les actions de Wonderbabette s’en inspirent et transmettent quelque chose encore de l’esprit inédit qu’elles portaient, vérifiant, vivifiant même la phrase de René Char :
« L’acte, même répété, est vierge ».

 

La présence fréquente des mots et de la poésie dans son travail visuel et spatial, tire la démarche de l’artiste vers la parole, l’échange symbolique, bien plus intense et risqué aujourd’hui, lorsqu’il a lieu, en raison de la tentation croissante des faux échanges sans poids, entre des écrans interchangeables.

 

Les yeux rivés sur ces derniers, nous nous croyons attentifs en n’étant que captifs.

 

Offrandes sensibles et sensitives, les œuvres de l’artistes au contraire ravivent les sensations, endolories par la fascination virtuelle des fausses croyances de tous ordres.

 

L’œuvre et l’action de Wonderbabette affirme avec force une nouvelle donne de l’art contemporain, la féminité, avec force et avec douceur.

 

Son travail est enfin habité par un sourire ineffable,

comme celui que j’éprouvai un jour en découvrant sur l’une de ses œuvres

cette phrase de Cocteau que je ne connaissais pas :

 

    « C’est avec douceur que l’on ferme les yeux des morts,
       c’est avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants. »

 

Bernard Goy

 

 

 

magazine du Conseil Régional Alsace - 2012
magazine du Conseil Régional Alsace - 2012

It makes you wonder

(cela donne à penser)

 

 

Pourquoi ne pas croire aux miracles de nos relations, de nos rencontres avec soi et les autres et :

 

- espérer à un monde meilleur, imaginé, rêvé, où ce qui est intérieur trouverait à s’extérioriser ?

 

- provoquer le contradictoire, instaurer une intimité publique, permettant de nous affranchir des tabous, d’alléger le poids des normes et des conventions afin d’ouvrir un imaginaire en libérant ce qui est au plus profond de soi ?

 

- délivrer l’intimité en la livrant par des mots, des images, des dénuements de partie de corps, pour se délier des retenues, des carcans, des préjugés ?

 

Wonderbabette s’attache à cela, elle s’approprie et reconfigure des espaces pour se retrouver dans un face à face, une proximité pour partager avec plus ou moins de pudeur les frontières du corps, du regard, de la parole, les limites quotidiennes de nos êtres…une frontière où les choses ne s’arrêtent pas, mais une lisière où quelque chose pourrait commencer.

 

Ces attitudes créatives « d’intimité publique » rapprochent l’artiste des autres et lui permettent de mettre en place ce qu’elle nomme « des ponts créatifs propres à créer des liens, à dompter les timidités, à s’ouvrir à l’autre et au monde ». Créer des projets « impliquant une inévitable et tant redoutée rencontre avec l’autre. S’installer le plus confortablement possible de façon à ressentir le moins de gêne, et inviter l’autre à partager votre univers. Ce bien-être déteindra sur votre invité et ainsi naîtront des instants propices aux échanges et créations en tout genre ».

 

Ainsi elle scrute, tente de voir, d’entrevoir, ce qu’il y a derrière les choses ; ce qui se dévoile de l’autre côté du miroir. Cet apparaître elle l’interroge de manière différente :

 

- Pour soi, traquant l’image de soi, elle la questionne sans cesse, sensible et perméable à cette re-construction permanente du paraître face aux autres « de l’image que l’on voudrait avoir, que l’on émet, que l’on projette sur l’autre et vice et versa ».

 

- Entre homme et femme, cherche avec beaucoup de sensibilité dans les infractuosités du lien fragile et mouvant des deux sexes et tente de lever le voile des terreurs et des bonheurs de leur difficile être ensemble « le féminisme d’aujourd’hui ou la difficulté de trouver pour la femme un équilibre entre ce qu’elle a été pour et par l’homme depuis des millénaires, de ce qu’elle voudrait être aujourd’hui, pour elle-même et d’une harmonie entre les deux sexes »

 

- Avec l’autre, explorant, cherchant à dépasser les frontières de l’intimité pour se rapprocher au plus près de l’autre et trouver l’altérité. « Chacun place plus ou moins loin de lui, proche de l’autre les limites de la pudeur, de la réserve, de l’intime ».

 

Wonderbabette tente avec énergie de nous sauver d’un certain égoïsme, du chacun pour soi. Elle dégote aux coins de chaque être cette altérité tant oubliée, cherche les empathies dans les reliefs, les plis et les commissures les plus profonds d’un vécu, produit des œuvres surprenantes, même si les résultats sont et resteront totalement et miraculeusement inattendus ils sont toujours prodigieusement et profondément empreints d’humanité.

 

P. LItzler